Friday, December 01, 2006

Premier chapitre : La boucle et le drame



Le défi de Nansal est celui de l’individu dans sa famille, mais aussi bien celui d’une communauté : continuer à coexister avec la nature et la ville, harmonieusement ; dans l’énigme de l’avenir et l’incertitude du monde. Cette harmonie doit s’adapter aux changements du contexte général : le chien met en jeu la capacité d’adaptation de la famille nomade. Il est intégré à la fin. Il faut voir ce film comme une allégorie de l’humanité. De son travail d’adaptation infinie. La puissance du film réside dans la métonymie qu’il nous adresse. L’élément valant pour l’ensemble, et mettant toute forme de vie sur un même plan existentiel. La steppe valant pour l’univers entier.
« Tatoué » le chien trouvé, exprime dans le récit du film, le défi que Nansal doit relever sur le plan du conte, pour intégrer par elle-même le savoir des steppes. En équilibrant celui qu’elle reçoit de ville et de l’école moderne. Par ailleurs, le chien est rejeté par le père en tant que conséquence des bouleversements économiques, climatiques, humains. « Tatoué » est la métaphore de l’adaptation, toujours à refaire, de la communauté de bergers mongols face aux bouleversements du monde. pour un équilibre instable, périlleux, aventureux, à trouver ; l’ouverture du cercle communautaire au monde ; une harmonie recomposée.

La boucle ouverte que le film dépeint, prend la forme d’un équilibre instable. Les risques ne sont pas présentés comme incompatibles avec l’harmonie. Un défi que les sociétés, ou les ensembles humains, doivent soutenir, à l’exemple de cette famille. D’autant que Byambasuren Daava, la réalisatrice se tient à la charnière des deux mondes. Occidentalisée pour devenir cinéaste, c’est depuis son ouverture au monde, depuis sa propre adaptation, qu’elle nous adresse ce film. Adaptation entre deux côtés comme dans le film (celui de la culture originaire et celui du monde moderne). L’exotisme réel du chien jaune de Mongolie, dés lors, prend une dimension plus universelle. Même si nous apprenons avec Nansal, - conformément au motif spirituel de l’impermanence bouddhique exprimée à plusieurs endroits du film - que les choses ne peuvent se reconduire à l’identique. Malgré l’inquiétude, il y a une grande sérénité dans ce film ; à l’inverse malgré sa sérénité, il y a une interrogation sur l’avenir qui reste ouverte. Les vautours de la fin du film et la mort font partie du cycle, mais depuis la mort du vieux chien inhumé au crépuscule sur la montagne, au départ du film.

La tension entre l’harmonie (très fortement exprimée dans le film) et le drame (la rupture de cette harmonie), passe par le rapport père/fille. Comme dans beaucoup de contes, quoique en ayant des positions en apparence opposées, père et fille vont dans la même direction. Ils forment à eux deux une dynamique salutaire. Deux pôles qui assurent le drame et l’harmonie recomposée. (Dans leur vie et dans l’histoire du chien jaune contée par une « chamane »).

Le père en silhouette dans le premier plan, à la mort du vieux chien, accompagne sa fille main dans la main, dans un dialogue grave. Plus tard, la fille prend la place du père sur son cheval quand il part à la ville. Double distance, elle se perd selon sa propre trajectoire, partie à la recherche du chien (principe d’éloignement de la loi du père comme dans l'histoire du "chien jaune" que lui confie en initiation, la vieille solitaire). Schéma récurrent du conte (comme dans La belle et la bête par exemple)
Au niveau dramatique la relation fille père est l’axe du film. Plus déterminante que la relation fille mère - une mère pourtant plus présente (étant montrée en conformité avec le stéréotype, proche, compréhensive, plus souple). Le père est associé simultanément à la ville, à l’économie (il en constitue le hors champ). Mais aussi à l’adaptation. La mère refusant cette adaptation à n’importe quel prix (dialogue au retour du père).

Cette rencontre, en dynamique simple, entre équilibre, puis déséquilibre, enfin recomposition de l’harmonie, est présente à chaque instant dans le récit, c’est son centre de gravité. La rencontre se fait en harmonie. Tout comme elle se fait en contrastes, en oppositions, en affrontements et compose le drame. Mais aussi à la manière des burlesques en situations cocasses, incongrues, avec une légère ironie ou amusement (La louche verte, le mini car des élections)...

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